L’embryon humain, énigme et mystère

Human embryoCette intervention du père Alain Mattheeuws s.j., professeur à l’Institut d’études théologiques (IET), à Bruxelles, traitera de l’attitude éthique et religieuse face à l’embryon. Le respect qui lui est dû, se fonde sur son origine humaine même énigmatique (a). La position du Magistère est très claire à ce sujet (b). Une réflexion théologique personnelle peut donner à penser (c).

a. L’énigme de l’origine

Grâce aux nombreuses recherches scientifiques, particulièrement bio-médicales, nous avons un grand nombre de données nouvelles sur l’avènement à l’existence de l’être humain, sur ce qu’est l’embryon, sa constitution, les phénomènes qui président à sa croissance. Même s’il nous est possible de dissocier la conception de l’embryon de l’acte conjugal, nous percevons intuitivement combien le  » berceau  » de l’être humain ne peut pas être n’importe quel acte. La conception et la croissance de l’être humain appartiennent à l’ordre de l’agir de l’homme. Les questions éthiques y sont posées avec acuité. Elles concernent les embryons. Elles nous renvoient aussi à ce que nous sommes et désirons devenir dans le respect de l’humanité que nous partageons avec les autres. Nous avons tous été un  » embryon humain « .

Les observations scientifiques se font de jour en jour plus précises. Elles sont appelées à éclairer nos jugements et à confirmer une réflexion éthique et religieuse. Elles ne peuvent se substituer à ces réflexions. Définir l’humain n’appartient pas à l’ordre scientifique. Réfléchir sur ce qu’est un individu, une personne, un acte créateur est de l’ordre éthique, philosophique et religieux. La définition de l’homme est à la mesure de ce qu’il est dans toutes ses composantes. Les connaissances que nous avons de l’embryon peuvent laisser ouvertes certaines options : les caractéristiques de l’individu, l’identité entre l’individu et la personne, le refus ou l’acceptation du concept de  » personne potentielle « , le moment précis de l’acte créateur divin. L’embryon humain est de notre espèce et nos observations doivent s’approfondir : il n’a pas encore livré tous ses secrets. Peut-être n’est-ce d’ailleurs pas à nous de déterminer ce qu’il est ni le moment précis de son avènement à l’existence ? Il nous suffirait de le reconnaître et d’observer un faisceau d’indications visibles.

A supposer que l’on ne tienne pas l’animation immédiate de l’embryon, c’est-à-dire la présence de l’esprit ou de l’âme dès le premier instant, on ne pourra nier que le pré-embryon ou l’embryon humain est une « personne potentielle », selon les mots du Comité national français de bioéthique (1986), une personne en devenir. C’est cette personne en devenir que l’on veut aujourd’hui « utiliser », dans un processus qui lui donnera la mort, à des fins de recherche scientifique. Qui ne voit que l’on cède ainsi à une idolâtrie du progrès scientifique ? En fait, de quels enjeux financiers et de quelles compétitions de prestige (universitaires, nationales, pharmaceutiques, …) ne se rend-on pas esclave ? Cette réduction de l’humain à l’état de matériau biologique contient en germe un totalitarisme eugénique qui se déploie déjà dans les derniers développements du clonage.

Le caractère énigmatique de l’embryon humain et son apparence qui nous déconcertent encore ne peuvent cependant pas être un alibi pour nier sa dignité et risquer sa destruction unilatérale. Sur une question aussi grave, la sagesse humaine nous éclaire par ce dicton : dans le doute de fait, abstiens-toi. Ce principe de  » protection  » est la mesure de la gravité de la question. Comment penser en effet qu’un embryon puisse devenir un homme s’il ne l’est pas à l’origine ? Les critères qui définissent des moments adéquats à cette reconnaissance appartiennent tous à une vision réductrice du temps. Ainsi s’il y a questions et doutes sur le statut de l’embryon, il ne peut pas en fait – et donc en droit – se résoudre au désavantage de ce dernier. Dans une question de doute de fait, la prudence impose à la conscience de plaider pour le respect maximum: on ne tire pas dans les broussailles si on pense que ce qui bouge pourrait être un homme. Si l’on se met au point de vue de la foi chrétienne, les choses sont plus criantes encore. Tout embryon, dans les apparences qu’il nous donne de lui-même ou que nous parvenons à connaître de lui à notre époque, est en effet le terme d’un acte créateur de Dieu. Dès qu’apparaît un embryon humain, apparaît le dessein de Dieu créateur d’une personne humaine. Cette volonté de Dieu doit être respectée, adorée. Dans le respect inconditionnel du statut de l’embryon se joue pour les chrétiens le respect de l’oeuvre créatrice de Dieu. De plus tout homme est créé dans le Christ. Il est appelé à être dans le Fils Unique. Ce statut d’enfant de Dieu, reconnu par la foi, confirme l’amour personnel qui lui est dû par ses parents et par tout homme.

b. L’appel de la réflexion catholique

La doctrine de l’Eglise catholique au sujet de l’embryon humain est présentée et argumentée dans deux documents principaux: l’Instruction Donum vitae (DV) de la Congrégation pour la Doctrine de la foi (1987); l’Encyclique Evangelium vitae du Pape Jean-Paul II (1995). Nous résumons dans ce qui suit ces deux documents.

b. 1.Le principe moral fondamental est exprimé dans DV I,1: “L’être humain doit être respecté – comme une personne – dès le premier instant de son existence”.

“Dès que l’ovule est fécondé, se trouve inaugurée une vie qui n’est ni celle du père ni celle de la mère, mais d’un nouvel être humain qui se développe par lui-même. Il ne sera jamais rendu humain s’il ne l’est pas dès lors. A cette évidence de toujours la science génétique moderne apporte de précieuses confirmations. Elle a montré que, dès le premier instant, se trouve fixé le programme de ce que sera ce vivant: un homme, cet homme individuel avec ses notes caractéristiques déjà bien déterminées” (DV I, 1). Les récentes acquisitions de la biologie humaine ont reconnu que dans le zygote dérivant de la fécondation s’est déjà constituée l’identité biologique d’un nouvel individu humain.

Le Magistère de l’Eglise ne s’est pas prononcé sur une doctrine philosophique du moment de l’animation. Il pose cependant la question; “Comment un individu humain ne serait-il pas une personne humaine?” (DV I, 1) et il tient, du point de vue moral ou éthique, que le produit de la conception humaine exige le respect inconditionnel moralement dû à tout être humain. Celui-ci doit être respecté et traité comme une personne dès sa conception et donc, dès ce moment, on doit lui reconnaître les droits de la personne parmi lesquels, en premier lieu, le droit inviolable de tout être humain innocent à la vie. Puisqu’il doit être traité comme une personne, l’embryon devra être défendu dans son intégrité, soigné et guéri dans toute la mesure du possible, comme tout autre être humain, dans le cadre de l’assistance médicale. C’est un patient à traiter comme tout homme mérite de l’être .

b. 2. Par voie de conséquence:

-2.1. La recherche médicale doit s’abstenir d’interventions sur les embryons vivants, à moins qu’il n’y ait certitude morale de ne causer de dommage ni à la vie ni à l’intégrité de l’enfant à naître et de sa mère, et à condition que les parents aient donné pour l’intervention sur l’embryon un consentement libre et informé. Si les embryons humains sont encore vivants, viables ou non, ils doivent être res-pectés comme toutes les personnes humaines : l’expérimentation non directement thérapeutique sur les embryons est illicite. Dans le cas de l’expérimentation clairement thérapeutique, c’est-à-dire s’il s’agissait de thérapies expérimentales utilisées au bénéfice de l’embryon lui-même comme une tentative extrême pour lui sauver la vie, et faute d’autres thérapies valables, le recours à des remèdes ou à des procédés non encore entièrement éprouvés peut être licite.

2.2 Il est immoral de produire des embryons humains destinés à être exploités comme un matériau biologique disponible. Il faut dénoncer la particulière gravité de la destruction volontaire des embryons humains obtenus in vitro par fécondation artificielle ou fission gémellaire, à des seules fins de recherche.

Les procédures d’observation ou d’expérimentation qui causent un dommage ou exposent à des risques graves et disproportionnés les embryons humains, in vivo ou in vitro, sont moralement illicites. Il n’est pas moral d’utiliser les embryons surnuméraires de la fivete comme matériau de recherche.

2.3. Les tentatives ou projets de fécondation entre gamètes humains et animaux, et de gestation d’embryons humains dans des utérus d’animaux, l’hypothèse ou le projet de construction d’utérus humains artificiels, sont contraires moralement à la dignité d’être humain qui appartient à l’ embryon. De même, les tentatives ou hypothèses faites pour obtenir un être humain sans aucune connexion avec la sexualité, par fission gémellaire, clonage, parthénogenèse, sont à considérer comme contraires à la morale, car elles sont en opposition avec la dignité tant de la procréation humaine que de l’union conjugale. La congélation des embryons constitue une offense au respect dû aux êtres humains. Certaines tentatives d’intervention sur le patrimoine chromosomique ou génétique ne sont pas thérapeutiques, mais tendent à la production d’êtres humains sélectionnés selon le sexe ou d’autres qualités préétablies. Ces manipulations sont contraires à la dignité personnelle de l’être humain, à son intégrité et à son identité; elles ne peuvent donc en aucune façon être justifiées par d’éventuelles conséquences bénéfiques pour 1’humanité future.

b. 3. La loi civile

Selon l’Eglise catholique, l’Etat doit reconnaître le droit à la vie et à l’intégrité physique de tout être humain depuis la conception jusqu’à la mort. La loi civile ne peut tolérer – elle doit même expressément proscrire – que des êtres humains, fussent-ils au stade embryonnaire, soient traités comme des objets d’expérimentation, mutilés ou détruits, sous prétexte qu’ils apparaîtraient inutiles ou inaptes à se développer normalement. Ceci exclut que l’Etat autorise l’utilisation des embryons surnuméraires de la Fivete pour la recherche scientifique. La législation doit exclure également les banques d’embryons.

c. L’embryon : le pauvre et le petit

Le problème éthique posé par l’embryon humain n’est pas un problème autre que celui de la reconnaissance d’autrui. Nous savons par expérience humaine combien onéreuse se trouve être toute reconnaissance d’une personne dans la vie quotidienne : se laisser interpeller par le  » visage  » d’autrui , le respecter et l’aimer, est un acte de liberté qui nous engage, avant même d’être une évidence qui nous oblige de manière rationnelle.

La reconnaissance d’une personne dans l’embryon a une dimension ontologique, éthique et religieuse. Elle concerne l’être de l’embryon, mais elle est inséparable d’une attitude humaine d’accueil, de justice et d’amour. Cette reconnaissance n’est pas aveugle. Elle est aidée par les considérations bio-médicales, mais elle s’origine d’abord dans un accueil humanitaire: comment l’embryon pourrait-il se révéler totalement pour ce qu’il est – une personne -, si le droit fondamental à la vie ne lui est pas reconnu? Ce qu’il est maintenant, nous l’avons été un jour. La valeur « humanité » doit être universelle et inconditionnelle. Elle concerne tout homme et tous les hommes. La définition de l’humanité de l’homme n’est pas matière livrée à l’arbitraire de l’homme. L’homme ne crée pas l’homme: il le reconnaît. Les projets de parentalité comme les définitions bio-médicales ne définissent pas ce qu’est l’embryon en soi. Ils le reconnaissent ou pas, le confirment ou l’infirment. Telle est la tâche de nos libertés humaines face à l’acte Créateur de Dieu.

Tout embryon est en effet dans les mains de Dieu. L’infiniment grand comme l’infiniment petit dépendent de Lui. Parler d’un Dieu créateur, c’est affirmer non seulement qu’il est à la source de toutes choses, mais qu’il les soutient dans l’être. Quand on considère la place de l’homme comme être d’esprit dans la création, on ne peut penser que la conception de l’embryon, sa vie et sa croissance soient ignorées de Dieu. Le psaume 139, 13-15 explicite déjà ce lien :  » C’est Toi qui m’as formé les reins, qui m’as tissé au ventre de ma mère ; je Te rends grâce pour tant de mystères : prodige que je suis, prodige que tes œuvres. Mon âme, Tu la connaissais bien, mes os n’étaient pas cachés de Toi, quand je fus fais dans le secret, brodé au profond de la terre « . Cette connaissance divine de l’univers, établit un lien immédiat entre tout embryon humain et son Créateur. Dieu connaît l’embryon parce qu’il le crée. Le fruit de la conception humaine est l’être et la vie, non pas parce que Dieu s’y résigne, mais parce que Dieu le veut. Dieu veut toujours l’embryon humain qui est conçu parce qu’il est la source ultime de notre existence et notre origine la plus profonde.  » La vie humaine est sacrée parce que, dès son origine, elle comporte l’action créatrice de Dieu  » (Donum vitae, Introduction, n°5).

Dans l’embryon humain qu’Il crée, le Créateur s’affirme également comme Père. Il voit dans tout embryon humain celui qui l’aimera un jour, librement ; celui qui répondra au don qui lui est fait par un amour filial. Historiquement, cette grâce nous est offerte dans le Fils unique, Jésus Christ. Tout homme est destiné à être  » fils dans le Fils « , à être dans l’alliance nouvelle et éternelle. En tout embryon humain, Dieu voit l’image de son Fils. L’affirmation est lourde de sens. Tout embryon humain conçu participe à l’éternité du Dessein créateur et sauveur de Dieu (Ep 1,3-4). Au-delà des circonstances et des événements qui conditionnent ou expliquent notre venue au monde, Dieu lui-même est notre origine et notre fin :  » Tu nous as faits pour toi Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en Toi « , disait saint Augustin. Il nous appartient dans le présent de notre histoire humaine de confirmer le dessein de Dieu en nous et dans nos frères et sœurs en humanité.

Le don qu’est l’embryon humain, son mystère, est confié à notre humanité et au monde tel qu’il est. Ce n’est pas  » rien  » qui est offert ainsi. C’est tout un monde d’existence et de signification dont l’innocence n’est qu’un signe particulier offert à tous les hommes de bonne volonté. Sa pauvreté est confiée à notre amitié. Son visage n’est pas spectaculaire. Il reste longtemps peu perceptible aux yeux humains et sa pudeur résiste parfois aux longues observations scientifiques. Ce don mystérieux, parce qu’effacé, s’offre à notre reconnaissance à travers un corps humble. Dans l’amas cellulaire germinal et invisible à l’œil nu, tout comme dans sa puissance génétique et de croissance, ce corps embryonnaire est le germe et le gage de toute donation ultérieure. L’embryon conçu est le suppliant par excellence. De la reconnaissance reçue, il vivra, pourra rendre grâce un jour et se donner à son tour. Fragilité, vulnérabilité, faiblesse, apparences surprenantes sont les mots du suppliant. L’embryon humain est une parabole vivante de la volonté créatrice et aimante de Dieu qui nous confie son œuvre.  » La seule manière d’être juste avec la vie, c’est de respecter le plus petit des vivants  » . Respecter le plus petit dans le mystère insondable de son être , ce n’est pas plonger dans l’archaïsme des sentiments ou la sacralisation de la nature, c’est s’exercer patiemment à mieux connaître l’homme, son origine, sa fin et le respecter en tous puisque nous le respectons dans le pauvre et le petit. Tel est le mystère de l’embryon humain et sa mission pour nos générations : être gardien de l’universalité des valeurs et de l’Autre dont nous dépendons tous.

A. MATTHEEUWS s.j.

Professeur à l’Institut d’études théologiques (IET), à Bruxelles

Résumé

L’intervention concerne l’attitude éthique et religieuse due à l’embryon. L’énigme de son origine est confrontée aux observations scientifiques, à la question délicate de son individuation et aux différentes reconnaissances de son statut. Le principe de  » protection  » est explicité dans l’application à cette question délicate du  » doute de fait « . La doctrine de l’Eglise catholique est présentée : le principe moral fondamental et ses conséquences montrent combien cette position est un appel à la conscience humaine et aux institutions civiles. Une réflexion théologique permet de poser un regard de justice et d’amour sur cet  » autre  » qu’est l’embryon. Son  » visage  » est un appel : dans sa vulnérabilité et sa faiblesse, il est une image suggestive d’un acte créateur et paternel. Ce  » visage  » non spectaculaire et effacé est le germe et le gage de toute donation ultérieure. Respecter le petit dans le mystère de son être, c’est s’exercer patiemment à mieux connaître l’homme, son origine et sa fin, et le respecter en tous.

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